Une reconstitution originale d’une demeure antique construite au début du XXᵉ siècle.
Non loin de Nice, au bord de l’eau, se dresse, majestueuse, une demeure néogrecque exceptionnelle de 2 000 m² – qui, grâce à l’action du Centre des monuments nationaux, révèle toute sa splendeur.
C’est la Belle Époque. Théodore Reinach, homme politique français, juriste, archéologue, épigraphiste, philologue, historien, numismate, musicologue, membre de l’Académie des inscriptions des belles-lettres et professeur au Collège de France, ne jure que par la Grèce antique. Cet érudit surdoué fera édifier, dans la bien nommée station balnéaire de Beaulieu-sur-Mer sur la Côte d’Azur, une splendide maison dans laquelle il vécut heureux, concrétisant son rêve de se glisser dans la peau d’un Grec fortuné. Construite par son ami, l'architecte Emmanuel Pontremoli, entre 1902 et 1908, sur un promontoire rocheux surplombant la grande bleue, longeant la route du bord de mer, cette habitation élaborée et meublée sur le modèle des villas nobles de la Grèce antique du IIe et du Ier siècle av. J.C., sera léguée au décès de Théodore Reinach en 1928, à l’Institut de France.
De nos jours et depuis plusieurs années, il est possible de visiter ce lieu chargé de poésie et d’histoires rappelant une Ithaque où l’on revient toujours. La demeure est comparable à un poste d’observation, au phare d’une civilisation disparue vers lequel affluent les passionnés, les néophytes et les nostalgiques de cette époque révolue. De hautes fenêtres ouvertes vers le large offrent à l’imaginaire un espace inouï pour recréer l’atmosphère de l’époque. Élisabeth de Wittelsbach, impératrice consort d'Autriche et reine consort de Hongrie (aussi nommée Sissi), a séjourné à Beaulieu avant l’arrivée de Reinach et choisira quant à elle de faire construire en 1890 son “Archilleion” à Corfou, la plus septentrionale des îles ioniennes.
Une maison familiale
La villa Kérylos n’est pas qu’un musée. Elle fut une maison d’habitation familiale, affirme Bernard le Magoarou, administrateur du Centre des monuments nationaux (CMN) des Alpes-Maritimes et du Var. À la suite d’un appel à candidature de l’Institut de France, propriétaire de la villa Kérylos, le CMN a pris en main la gestion des lieux pour une durée déterminée de dix ans dans le cadre d’un contrat de délégation de service public. Faire vivre cet endroit unique est le défi que relève, avec ferveur, le CMN. En effet, la villa Kérylos n’est pas l’un de ces nombreux pastiches qui jalonnent le littoral azuréen et mérite le plus grand soin.
Théodore Reinach : l’humaniste sybarite
Théodore Reinach était un homme brillant et consciencieux. En 1931, un de ses collègues de l’Académie des inscriptions des belles-lettres indiquera qu’à 13 ans, Reinach émerveillât une dame russe en lui énumérant 130 cours d’eau, fleuves et affluents de Russie. Après avoir mené une éminente carrière, d’homme politique, avocat, contributeur émérite aux recherches et études d’archéologie de son temps, il poursuit avec le plus grand sérieux son ambitieux projet, cohérent avec sa vie d’humaniste : ériger à l’aune du XXᵉ siècle, une imposante demeure inspirée des villas de l’île de Délos, dans les Cyclades (archipel grec de la mer Égée).
Il chargera l’architecte en vogue Emmanuel Pontremoli, Grand Prix de Rome et membre de l’Académie des beaux-arts, de planifier puis mener à bien la construction de son temple hellénique. Entre les deux hommes amoureux de l’Antiquité – une complicité évidente. À l’inverse de Délios, au climat désertique en été, incessamment battue par les vents, Kérylos (hirondelle des mers en grec ancien), est entourée d’une végétation luxuriante et rafraîchissante composée d’oliviers, de grenadiers, de lauriers roses, de pins, cyprès, caroubiers et de vignes… Depuis la terrasse de la villa – un magnifique panorama ouvert sur la baie des Fourmis et sur la péninsule de Saint-Jean-Cap-Ferrat.
On distingue également les toits de la villa Ephrussi de Rotchilld. Notez que Théodore Reinach fut parent (par alliance) de la famille Ephrussi par son second mariage avec Fanny Thérèse Kann, dont la mère Betty Ephrussi était héritière de la célèbre lignée de banquiers. Son épouse fortunée lui permit de réaliser de lourdes dépenses pour bâtir sa villa de rêve. C’est grâce à cette femme généreuse qu’il put donner corps à son projet grandiose. L’édifice est construit et accommodé de matériaux précieux tels que des marbres veinés, blancs, gris et rose de Carrare ou de Sienne, des stucs antiques.
Xaipe "Réjouis-toi"
Ce qui est frappant, dès lors qu’on pénètre dans la villa, est l’absence de chaleur, même durant la saison estivale. Grâce à la circulation de l’air et à l’ingénieuse répartition des ouvertures, la demeure bénéficie d’une ventilation naturelle fort appréciable. Bien des aspects de la vie moderne étaient déjà présents durant l’Antiquité. Au seuil du vestibule, on retrouve l’inscription suivante "Xaipe", qui signifie "réjouis-toi en grec". Cet impératif catégorique n’est que le préambule de ce qui suit : un pur enchantement. Le bâtiment a été conçu le plus fidèlement possible à l’esprit de l’original.
Concernant les fresques du péristyle, le maître d’œuvre accompagné du maître d’ouvrage a fait appel à des élèves de Pierre Puvis de Chavannes, Adrien Karbowsky et Gustave Louis Jaulmes qui se sont inspirés de sujets tels Apollon, ou la conquête de la Toison d’Or. Le choix du mobilier fut confié à des décorateurs réputés. L’atelier Bettenfeld, l’un des meilleurs ébénistes du faubourg Saint-Antoine à Paris, réalise à partir des dessins de Pontremoli des tables tripodes, des coffres, des sièges, des bahuts et des lits en utilisant des bois exotiques (prunier d’Australie, noyer d’Amérique, bois d’Angélique, poirier, citronnier) incrustés de marqueterie d’ivoire, enrichis de bronze. Les plus grands noms des Arts décoratifs de l’époque ont contribué par leur habileté à rendre cette villa digne d’un chef-d'œuvre.
La bibliothèque, tournée vers l’est pour bénéficier le matin d’une lumière naturelle idéale pour travailler, regroupe une collection d’objets en bronze, des pièces archéologiques et de nombreux ouvrages savants. Disséminés un peu partout dans la demeure, de fabuleuses statues et des moulages somptueux renforcent le sentiment de dépaysement des visiteurs. Les décors n’ont rien d’ennuyeux, tout paraît délicat, harmonieux et créatif. Levez les yeux et laissez-vous porter par les vagues sur les poutres bleues dans la salle des banquets.
Tentures, peintures, meubles, vaisselles et robinetterie ont été reconstitués d’après des estampes antiques observées sur les céramiques figurées, avec un sens adaptatif étonnamment réussi. Une demeure confortable et parfaitement habitable. L'électricité, les canalisations d’eau courante et de chauffage central ont été soigneusement dissimulées. On y retrouve une décoration éblouissante inspirée de documents antiques… des scènes de peintures célèbres jalonnent les murs – illustrant les légendes des dieux grecs et des héros classiques. Les peintures murales sont l’œuvre d’Adrien Karbowsky.
L’étage aux multiples splendeurs
Plus intime, l’étage familial offre des décors poétiques et raffinés. L’Ornitès (les oiseaux) représentant l’épouse de Zeus, Héra, déesse du mariage et de la féminité magnifie la chambre de Madame Reinach dont des tonalités de bleu foncé. Au-dessus de la baignoire, les stucs fins signés Gasq, s’inspirent d’une visite du musée des Thermes romains. La chambre de Monsieur Reinach est nimbée de pourpre rappelant le palais de Cnossos et on y admire les Erotes (groupe de dieux ailés dans la mythologie classique, associés à l'amour et au désir sexuel, faisant partie de la suite d'Aphrodite). Depuis quelques années, les chambres des enfants sont ouvertes au public.
La villa Kérylos mériterait d’être visitée par toutes les classes de primaire, collège et lycée, à fortiori depuis que le grec a été banni des programmes scolaires. Bernard le Magoarou a souhaité restituer la dimension sonore des lieux. Même s’il n’est pas avéré que le compositeur Gabriel Fauré a joué in situ du pianoforte, ce dernier est toujours là, trônant dans un des salons des Hymnes d’Apollon, découverts à Delphes et traduits par Théodore Reinach, il est certain que l’eau bruissait partout dans la villa pour que la belle Hellène endormie retrouve sa voix.
La villa Kérylos est régulièrement privatisée pour des séminaires, des expositions, des colloques et diverses animations culturelles.
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Informations pratiques
LA VILLA KÉRYLOS
Rue Gustave Eiffel
06310 Beaulieu-sur-Mer
Tel. +33 (0)4 93 01 01 44
E-mails PRESSE. camille.boneu@monuments-nationaux.fr
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