L’ingéniosité au service du nécessaire
Entre cabane de trappeur et cabanon de pêcheur, la petite maison de villégiature de l’architecte Charles-Édouard Jeanneret-Gris, aussi nommé : « Le Corbusier », a tous les arguments pour séduire les minimalistes, les perfectionnistes et inspirer les créatifs les plus exigeants.
À l’instar de la cabane du pêcheur de Francis Cabrel, le Cabanon est une allégorie de l’épicurisme. Construit sur-mesure en 1951 par le charpentier Charles Barberis, sur un rocher battu par les flots à Roquebrune-Cap-Martin dans les Alpes-Maritimes, ce lieu d’habitation optimisé, ingénieux, « extravagant de confort et de gentillesse » est une des créations les plus reconnues de Le Corbusier. En effet, le Cabanon est classé depuis 2016 au patrimoine mondial de L’UNESCO ; accompagnant seize autres conceptions élaborées du maître au Panthéon de l’éducation, de la science et de la culture. Cette petite construction en bois aux dimensions réduites, composée de rigoureuses épures géométriques, est le fruit d’une vingtaine d’années de recherche architectoniques.
Icône moderne, le Cabanon a fait l’objet de deux répliques par la maison Cassina, régulièrement exposées à l’étranger. Cet habitat de quinze mètres carrés témoigne d’une inclination pour le vernaculaire et la volonté de renouer avec le mythe de la cabane primitive.
Archétype de la cellule minimum dessiné en seulement trois quarts d’heure sur un coin de table par son créateur, le Cabanon est l’aboutissement de longs questionnements concernant l’optimisation d’un espace de vie, relatifs à la fonctionnalité d’un logement. Référence incontournable, bien plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord, cet ovni architectural à l’aménagement rudimentaire est situé sur le sentier du littoral qu’empruntait quotidiennement Le Corbusier, accompagné de sa femme Yvonne Gallis lorsqu’il séjournait sur la Riviera française ; un véritable sanctuaire cortical et dépaysant pour le couple citadin. Il conserve, malgré son côté agreste, un esthétisme dont la simplicité symbolise un certain art de vivre. C’est d’ailleurs pour sa femme qu’il créa cet écrin de pureté unique, attenant à « l’Etoile de Mer », une guinguette tenue par leur ami Robert Rebutato qui leur céda un bout de terrain sur sa propriété balnéaire. Le Corbusier baptisa le Cabanon comme étant son « château de la Côte d’Azur », c’est dire comme il s’y plaisait !
Un habitat hors du commun
L’originalité du Cabanon est d’associer à l’esprit d’une cabane, les fonctionnalités recherchées par les architectes du mouvement moderne. Sous la toiture à une pente, sont ainsi concentrés dans une cellule volontairement carrée de 3.66 x 3.66 mètres de diamètre et 2.26 mètres de hauteur, un espace de travail, un coin-repos, WC, un lavabo, une table, des aménagements de rangement, ainsi qu’un porte-manteau. Afin de concevoir ce bijou magistral, Le Corbusier utilise l’échelle du Modulor, un système de mesures harmoniques en accord avec la stature humaine, associé à des identités remarquables, s’inspirant des eurythmies établies par Leonardo da Vinci ou encore Vitruve qui représentent les proportions de l’homme en l’inscrivant dans un cercle.
Le Corbusier choisira la forme carrée comme support de réflexion afin de déterminer les dimensions parfaites du Cabanon et de plusieurs créations ultérieures, telles que la Cité radieuse à Marseille ou encore la Maison de la Culture de Firminy. Le Modulor suit la progression de Fibonacci, suite qui tend vers le nombre d’or Ø : 1.6180339887. Les murs extérieurs, d’aspect rustique, se distinguent des autres créations de l’architecte, notamment de ses fameuses villas blanches. L’intérieur est d’une sobriété étonnante. La structure et tous les éléments en bois ont été préfabriqués en Corse puis assemblés sur place comme un jeu de LEGO.
Le Cabanon et la baraque-atelier où Le Corbusier élaborait ses projets futurs nécessitent un entretien régulier et ont subi des restaurations, dont les plus importantes ont eu lieu entre 2015 et 2017. Les visiteurs viennent des quatre coins du globe pour admirer ce chef-d'œuvre d’architecture. Ils sont priés de ne rien toucher et limités à quatre personnes maximum simultanément dans une durée limitée de deux à trois minutes par groupe. Seuls les guides sont autorisés à manipuler les poignées de portes et à toucher certains objets dans ce temple octogénaire du fonctionnalisme.
Un cadre privilégié
Autour du Cabanon, des arbres et des végétaux endémiques du bassin méditerranéen peuplent un espace vert luxuriant, resté relativement sauvage, surplombant la mer aux reflets hypnotiques. Peu construit, il contraste avec le jardin plus aménagé de l'Étoile de Mer. Dégringolant vers les rochers, les yuccas, les figuiers de barbarie et les agaves, profitent du rayonnement solaire à flanc de falaise, en contrebas. On retrouve dans le Domaine, des pins, eucalyptus, pistachiers, euphorbes, térébinthes ou lentisques, nerpruns, alaternes, filaires, etc. Source d’inspiration, la proximité de la Méditerranée a toujours nourri le paysage mental et la créativité fulgurante de l’artiste. En effet, il avait une jolie vue sur la mer depuis une des deux petites fenêtres du Cabanon. La deuxième, proche du lavabo, cadre la vue sur un caroubier séculaire – indissociable de l’habitation puisqu’il la protège par son ombre du rayonnement de l’hélianthe céleste, particulièrement intense en milieu de journée.
Faire corps avec la nature était le souhait de Le Corbusier. En adéquation avec cette volonté, il se lavait en extérieur avec une douche improvisée et appréciait de se retrouver quelques instants plongé hors du temps, dans son plus simple apparat, à l’abri des feuillages et des regards indiscrets. Non loin se trouvaient une table bétonnée et un siège où il aimait prendre du recul sur sa propre existence, réfléchir à tous ses fabuleux projets et contempler son environnement jusqu’à en ressentir toutes les ondes. Pour travailler, il allait un peu plus loin, rejoignant la baraque de chantier qui lui servait d’atelier créatif.
Roquebrune Forever
Le Corbusier naquit en 1887 à la Chaux-de-Fonds en Suisse et nous quitta sur la Côte d’Azur, aux abords du Cabanon, emporté par les vagues de la plage de Cabbé durant la période estivale de l’an 1965. Il adorait l’atmosphère des paysages maritimes nimbés de lumières tendres et crues, bordant la Grande Bleue. Docteur en philosophie et en mathématiques ; architecte, urbaniste, peintre, sculpteur, décorateur, designer et homme de lettres ; l’artiste complet repose en paix au cimetière de Roquebrune, sa dernière demeure, où de nombreux admirateurs lui rendent hommage ponctuellement. Son œuvre monumentale traverse les siècles, inspirant les esprits les plus vifs ; fédérant les amateurs d’art à travers le monde.
HUPSOO MAGAZINE
Tous droits réservés ©
Comments