« Il faut fouiller la vie des gens. Tout le monde a quelque chose à cacher. » (inspecteur Carella)
Sorti en 1971, Sans mobile apparent est un thriller franco-italien réalisé par Philippe Labro, journaliste, écrivain, homme médiatique et réalisateur français. Ce film est l’exemple type d’un cinéma marketing qui n’existe plus. Celui dans lequel s'expriment librement des manifestations d’innocence et de folie douce, réunissant des artistes d’horizons variés, disposés à travailler et à s’amuser ensemble.
On est happés d’entrée de jeu. Un mort. Puis un second le même jour. Le lendemain, deux autres meurtres surviennent. Quatre personnes sont tuées par un homme muni d’un fusil à lunettes. Dans le journal intime d’une des victimes, l’inspecteur Carella, chargé de mener l’enquête (Jean-Louis Trintignant), aperçoit le nom d’une de ses maîtresses, Jocelyne Rocca (Carla Gravina.) Il lui donne rendez-vous à son domicile et apprend alors qu’elle était en relation avec les 3 personnes assassinées, avant qu’elle-même perde la vie. Une course contre-la-montre commence alors pour trouver le lien entre ces quatre assassinats sans mobile apparent. Qui est le mystérieux sniper ? Quel est le mobile de ces crimes ? Cette succession d’homicides volontaires va révéler une tragédie secrète survenue des années auparavant. Carella va bientôt comprendre qu’il s’agit en réalité de représailles.
Le film dresse le portrait captivant d’un flic un peu bizarre, maniaque et acerbe, interprété par Jean-Louis Trintignant au sommet de son art, donnant à son personnage la froideur antipathique adéquate et le ton juste. Dans Sans mobile apparent, on ne compte pas les détails surprenants, étonnants - détonants ! La dimension satirique du film le situe entre French Connection de William Friedkin et les brûlots d'Yves Boisset, sans superflu, où on se moque allègrement des institutions, du monde politique et des parties fines de la bourgeoisie provinciale. Sans mobile apparent est un polar brutal rappelant les intrigues complexes réalisées à la même époque par Crispino, Lenzi ou encore Martino, en Italie. Moins stylisé, plus audacieux, mettant l’accent sur les performances d’acteurs, Sans mobile apparent est assurément une proposition sublime, populaire et décomplexée de “giallo” à la française.
Un casting et un décor de rêve
Loin de l’alacrité de certains acteurs du cinéma italien d’après-guerre, la gravité des personnages et leur circonspection sont, ici, métropolitaines et appropriées. Jean-Louis Trintignant mène l’enquête en incarnant avec brio un inspecteur de police retors, à la fois sensible et obstiné. Il donne la réplique à de nombreux acteurs emblématiques à l’époque, tels que Paul Crauchet, Stéphane Audran, Carla Gravina, Dominique Sanda et la vedette italienne Laura Antonelli. On retrouve également Jean-Pierre Marielle, affublé d’un accent anglo-saxon improbable, dans un second rôle où on ne l’attendait pas, et Sacha Distel, blasé par son travail d’animateur.
Un casting de rêve, un tournage remarquable sur la French Riviera, une intrigue bien ficelée ; il n’en faudra pas plus pour que le film reçoive la ferveur du public dès sa sortie, avec plus d’un million d’entrées dans les salles de cinéma. Le tournage eut lieu à Nice, entre le centre-ville et l’arrière-pays, pendant la période estivale. La douceur du climat méditerranéen contrastée par les plans séquence elliptiques réalisés par Philippe Labro participe à l’atmosphère particulière dans laquelle est plongé le spectateur. L’intrigue en forme de whodunit maintient l’attention du public durant toute la durée du film, malgré quelques baisses de rythme notables, délibérées.
Philippe Labro rend hommage au cinéma américain
Fervent amateur de cinéma américain, le journaliste montalbanais Philippe Labro s’oriente vers le polar en réalisant Sans mobile apparent au début des années 70, après avoir essuyé un cuisant échec en 1969 avec son premier long-métrage intitulé Tout peut arriver. Le producteur Jacques-Eric Strauss, alors au sommet de sa gloire grâce au Clan des siciliens, propose à Labro d’adapter une série noire américaine de son choix.
Le journaliste opte alors pour Ten Plus One écrit par Ed McBain, Salvatore Lombino de son vrai nom. Cet ouvrage appartient à un cycle, le “87e district”, d’une cinquantaine de romans où des inspecteurs de police enquêtent dans la ville de New York. En outre, cet auteur prolifique fut également le scénariste d’Alfred Hitchcock pour Les Oiseaux et nombreuses furent ses œuvres littéraires à être transposées sur Grand Écran. Labro traite son sujet de manière concise. C’est au spectateur de faire son propre cheminement au rythme soutenu imposé par le cinéaste. Un sens de l’économie qui rejoint les œuvres de Don Siegel, et l’inspecteur Harry, entre autres. Philippe Labro, fin connaisseur de la civilisation américaine, a adapté cette série noire avec la complicité du parolier de Jacques Dutronc, à savoir, Jacques Lanzmann.
Nizza la bella est filmée comme une Californie française, avec ses couleurs éclatantes et un soleil zénithal. La dégaine de Trintignant, rappelant le flegmatisme d’Humphrey Bogart et le fait que le film soit inspiré d’un roman écrit par un New-Yorkais célèbre, ne laissent aucun doute sur l’influence américaine de ce projet réussi. Les scènes de meurtres maintiennent le doute sur l’identité de l’assassin (grâce à la caméra subjective), et nous éloignent du classicisme hollywoodien.
L’excellente partition d’Ennio Morricone
L’italianité du film de Labro se manifeste, hormis sa distribution, par l’éminent équilibre acoustique et l’apport indiscutable des compositions d’Ennio Morricone, qui renforcent l’atmosphère morbide du film et collent à la perfection au caractère étrange et obsessionnel du personnage principal. La musicalité des tissages harmoniques élaborés avec précision, les césures temporelles et les contrastes rythmiques orchestrés par Ennio Morricone sont pénétrants. Rien n’est fait au hasard. Chaque note est un détail qui a son importance dans l’élaboration des différentes trames mélodiques. Chaque sonorité offre une dynamique parfois sensible - brutale, synthétique ou plurielle.
La bande originale d’Ennio Morricone est, si l'on peut dire, la cerise sur le gâteau. Le thème principal reste en mémoire. Son retour crée une angoisse par moment et accompagne la réflexion de l’inspecteur Carella avec éclat. L’accompagnement musical de la course folle de Trintignant sur le port de Nice est manifeste de la maestria du compositeur. Il est certain qu’il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir faire preuve d’une telle inventivité. En effet, la partition d’Ennio Morricone participe considérablement à la qualité de ce film emblématique des années 70. Si vous décidez de voir ou de revoir ce film, vous trouverez rapido-presto votre mobile : le génie d’Ennio Morricone.
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